LE VIEILLISSEMENT IMPOSE-T-IL UNE LENTE DEGRADATION DU SYSTEME DE REGULATION POSTURALE ?
La posture érigée de l’Homme et sa bipédie exclusive sont une originalité du règne animal de notre planète Terre.
En effet, cette station verticale, constante lutte contre la gravité nécessite la réunion efficace d’un grand nombre de structures anatomiques : capteurs cutanés et proprioceptifs, systèmes de transmission, intégration des données et effecteurs d’équilibre et de motricité.
Ce système de régulation posturale n’est pas opérationnel dès la naissance mais va progressivement s’installer, s’affiner, se perfectionner, s’enrichir en fonction des apprentissages nous permettant de devenir un français moyen ou Rudolf Noureïev…
Cet appareil locomoteur qui nous permet la station debout et surtout une gestuelle et des déplacements sans chute doit être vu sous un nouvel angle : le muscle est notre sixième sens !
Même Aristote, le père de nos cinq sens, avait négligé cette proprioception sans laquelle aucun mouvement ne serait réalisable.
Hélas ce système complexe nécessite de multiples structures anatomiques en bon état de marche, qui vont s’émousser au fil du temps.
On peut recenser les différentes pièces indispensables du puzzle postural :
- Des pieds ou plutôt une peau plantaire sur une voûte autorisant un appui discriminant et informatif, point de départ de la bipédie,
- Des yeux permettant d’appréhender globalement l’environnement ou de fixer une cible précise, premier temps du déplacement,
- Un ensemble musculo-squelettique capteur et effecteur qui gère les déséquilibres induits par les mouvements,
- Un système nerveux capable de saisir des informations venues de tous les capteurs posturaux, de les analyser et d’en déduire les anticipations ou compensations indispensables à une gestuelle non déséquilibrante. C’est aussi ici que s’accumulent nos connaissances gestuelles affinées par l’apprentissage dans un catalogue qui engramme nos motricités volontaires ou automatiques,
- Une oreille interne qui analyse la position de la tête et les accélérations linéaires ou angulaires qui lui sont appliquées.
- Il faut encore citer l’appareil manducateur qui joue semble-t-il un rôle d’information dans le positionnement de la tête, mais peut surtout, en cas de désordre occlusal, déclencher des stratégies posturales douloureuses bien au-delà de la tête et du cou.
- Nous achèverons notre survol postural par la peau, ce vêtement capteur de nos positions et mouvements corporels.
Nous allons envisager les éventuelles perturbations de la gestion posturale qui s’installent et se cumulent au fil des années…
Au niveau des pieds : ne plus se lever du bon pied
La peau plantaire est donc l’interface unissant le bipède homme à sa planète. Le pied va se modifier au fil des années après rarement pour améliorer ses performances.
Deux cas se présentent, soit le pied est anatomiquement imparfait dès le jeune âge et il va entraîner des modifications sur tout le squelette (talus varus ou valgus par exemple), soit le pied initialement parfait va subir des contraintes qui vont le modifier. Bernard Bricot a donc parlé de pieds causatifs ou adaptatifs.
En plus de ces modifications mécaniques on peut observer des modifications fonctionnelles : perte de récepteurs (la peau plantaire perd de son épaisseur), diminution de la proprioception, nociception, angiopathie, etc.
Dès que le pied perd une partie de ses performances de lecture du sol (la peau plantaire contient autant de récepteurs que la peau palmaire) il va déclencher une stratégie de maintien de la verticalité en rigidifiant l’ensemble musculo-squelettique sus-jacent : on a tous vécu une marche précautionneuse sur le verglas. Donc tenir debout ou jouer du Rachmaninov même combat, mais intégration consciente ou non des informations cutanées. Cette fixation musculaire des différents segments corporels entre eux rend le système moins chaotique au prix d’un énorme travail musculaire tonique, c’est cette stratégie de rigidité qui rend nos patients âgés raides et …inflexibles…aidez donc une centenaire à monter ou descendre de voiture !
La voûte plantaire est par sa structure même une zone d’appui intermittent et la perception plantaire intègre la géométrie variable de l’appui au sol.
Il faut signaler que le sommet de la voûte plantaire est ’’traversé’’ par la projection verticale du centre de masse du corps qui ’’tourne’’ autour de cette ligne comme un pendule inversé accroché au sol.
Cette voûte plantaire qui est née il y a 5 à 10 millions d’années est un des grands acquis des préhominiens, rejetant Lucy comme grand’mère et la reléguant au rôle de cousine. Signalons à ce propos que seuls les primates à voûtes courent sur deux pieds, tous les autres détallant à quatre pattes.
Ne négligeons donc pas le rôle capital du pied et tentons de marcher le plus longtemps possible afin d’entretenir ce capteur essentiel, notamment en terrain accidenté.
Les yeux et leurs douze muscles oculomoteurs externes :
ne pas avoir les yeux en face des trous !
Si le pied permet de lire le sol, l’œil lit le monde environnant et donc organise les déplacements.
La rétine peut être divisée en rétine fovéale pour la vision fine (lecture) et rétine périphérique pour se positionner dans l’espace ; pour la régulation posturale, la rétine périphérique est capitale et au fil du temps son ’’acuité’’ va décroître et le champ visuel utile va se rétrécir.
Pour les muscles oculomoteurs on peut observer une diminution de performance au fil des années comme pour tout muscle squelettique.
Avec l’âge vont s’accumuler les problèmes de vision, d’accommodation, de pression intraoculaire, de convergence etc.
On va donc progressivement retrouver trois types de perturbations liées à l’œil :
– Altération de l’acuité visuelle,
– Moindre performance de l’oculomotricité,
– Port de verres correcteurs inadaptés, mal centrés, progressifs sans réelle adaptation ou
montures dégradées, instables…
L’ensemble musculo-squelettique : la carcasse ne répond plus !
Il suffit de regarder les actualités sportives pour vérifier que peu d’athlètes de haut niveau bénéficient de la carte vermeille ! Hélas les performances du muscle strié vont en diminuant avec l’âge.
Notre activité musculaire sur 24 heures est essentiellement posturale (95%), automatisée, pratiquement non consciente, pré programmée dans un catalogue de schémas moteurs qui ne demande qu’à s’enrichir au fil des jours…oui on peut apprendre à skier à 80 ans !
Avec l’âge la masse musculaire diminue et surtout l’activité globale diminue, vigoureux plaidoyer pour le maintien absolu d’une activité musculaire intense, régulière et diversifiée.
En effet, la sédentarité qui s’attaque à notre cœur et nos vaisseaux grignote aussi nos muscles en limitant la diversité de nos gestes quotidiens (« du lit au fauteuil puis du lit au lit » disait Brel).
Le système nerveux central
Le premier niveau de l’intégration des informations posturales est la moelle épinière qui régit les premiers ajustements de l’aplomb et du tonus musculaire.
Puis les informations remontent à 150 à 230 km/h voire vers le tronc cérébral et le cervelet où elles seront regroupées, analysées, comparées avant d’anticiper, de programmer, de déclencher et de contrôler une activité motrice anticipée ou de compensation.
Toute cette ’’compréhension’’ automatisée et enrichie chaque jour par l’expérience et l’apprentissage permettra une gestuelle et une motricité ’’à petit prix’’, fluide, efficace et sans déséquilibre.
Le SNC est une structure qui va lentement se détériorer et là encore d’autant plus vite qu’il sera soumis au moindre effort …
Donc ne réservons aucune part de notre cerveau pour la publicité mais apprenons, travaillons, mettons nous en déséquilibre et en inconfort intellectuel, attisons notre esprit d’enfant, cultivons notre curiosité, et affinons chaque jour notre disponibilité à l’émerveillement, car seule la sédentarité psychique nous menace réellement…
Toute dégradation des voies de la conduction axonale, toute perte de connexion va ralentir l’adaptation posturale nous faisant perdre la fluidité et l’efficacité du geste et on observe des schémas moteurs et posturaux stéréotypés chez les patients porteurs d’un diabète, d’un parkinson, d’une SEP ou d’un syndrome cérébelleux.
mais où ai-je la tête ?
Signalons à cette occasion l’intérêt des activités complexes comme la randonnée en terrain accidenté, le tai-chi, l’escalade ou le shi-kong qui imposent des stratégies motrices lentes et variées qui stimulent puissamment la proprioception.
Le sens musculaire
Ce sixième sens, essentiellement non conscient fait du muscle strié un partenaire essentiel de la vie grâce aux fuseaux neuromusculaires et aux organes tendineux de Golgi, informateurs permanents du système nerveux central bien avant les capteurs articulaires voire capsulo- ligamentaires ou même labyrinthiques.
Même les vitesses de conduction vont se ralentir au fil du temps avec un risque croissant de chute entre les remontées d’informations plus lentes et les adaptations ou compensations elles aussi moins rapides…
Même notre fabuleux cortex préfrontal va influencer la posture ; rien à voir en effet entre le déprimé profond, qui s’enroule vers le sol et se referme douloureusement, et l’être rayonnant la tête dans les étoiles qui a rencontré l’amour partagé…
L’oreille interne : ça tourne !
Là encore le vieillissement va entraîner des diminutions de performance et cette presbyvestibulie qui va progressivement tarir une partie des informations maculaires ou semi-circulaires va pouvoir favoriser la chute, c’est lanégligence vestibulaire décrite par Michel Toupet avec son risque parfois vital de sensation retardée du déséquilibre.
je ne peux plus croquer dans la vie !
Au fil du temps les perturbations occlusales tendent à se généraliser pour de multiples raisons : simple négligence, moindre soucis esthétique, dégradation du matériel prothétique ou problème économique insoluble…
La qualité de l’occlusion dentaire est indispensable au bon équilibre postural céphalique et général.
De nombreuses douleurs ’’hautes’’, de la tête, du cou ou de la région inter- scapulaire, et plus particulièrement de lafin de nuit ou du petit matin sont d’ origine occlusale.
j’ai peur de tomber !
L’appareil manducateur :
Le desmodonte qui entoure la racine dentaire et fournit des informations au Nerf Trijumeau n’est sans doute pas un ’’vrai’’ capteur postural mais une pathologie à son niveau retentit toujours sur la régulation posturale (influences d’une perturbation desmodontale sur l’oculomotricité, l’articulation tibio-tarsienne, la verticale de Barré ou le tonus musculaire.
La peau enfin : je suis mal dans ma peau…
La cicatrice peut ainsi modifier profondément le schéma corporel.
Les cicatrices pathologiques ou douloureuses, les brûlures, les zones d’adhérences vont devenir perturbatrices et plus particulièrement dans des régions sus-pubiennes, abdominales, lombaires ou cervicales.
Ici encore, notre vêtement cutané capteur subit le poids des années et risque de devenir de plus en plus couturé, rapiécé, effiloché…
Petite conclusion très provisoire : Ouf ! Ce n’est pas trop tôt !
En effet, les recherches et les neurosciences font avancer à grands pas la compréhension de la station érigée permanente et originale des grands primates humains. Nous avons encore tant de zones à explorer que cette discipline reste à mes yeux un peu balbutiante et mérite le nom d’analyse posturale clinique plutôt que celui de posturologie ….le λοΥος me semblant encore un peu maigre … alors que dire du ”posturologue…
Pour reprendre l’expression de Pierre Rabischong, la peau est un vêtement capteur qui nous informe, à tout instant de la position de nos différents segments corporels.
Toute cicatrice est donc la source d’une modification ou d’une perte d’informations qui modifie aussi la tension musculaire sous-jacente.
Une cicatrice perturbe donc la proprioception et modifie aussi notre schéma corporel…
Redresse sa tête puis son tronc, se relève puis marche et enfin court, enrichissant jusqu’à
son dernier jour de vie le catalogue de ses acquisitions motrices.
Un seul impératif donc entretenir ce système postural en ne négligeant pas trop notre enveloppe corporelle qui abrite plus de 200 os et plus de 600 muscles et surtout rappelons nous qu’un désordre apparemment modeste de l’appui au sol, de l’oculomotricité, de l’occlusion dentaire ou de l’ensemble musculo-squelettique, etc… peut entraîner desstratégies adaptatives redoutables.
Tentons de réduire le poids des années en entretenant notre cortex bien sûr mais aussi en conservant des activités ’’déstabilisantes’’ qui nous imposent cette vigilance posturale indispensable à tous nos équilibres.
Signalons à ce propos l’intérêt des activités physiques qui cultivent l’équilibre et la motricité telle la marche et plus particulièrement en terrain accidenté ou les activités corporelles comme la danse, le Taï-Shi ou le Shi-Kong… Restez de grands primates marcheurs et déstabilisez vous le plus possible!!
PRENEZ DE L’AGE MAIS NE VIEILLISSEZ PAS !!
Restez bon pied, bon œil…
Merci à notre ami Hieronimus BOSCH, Illustrateur de cette modeste réflexion
1, 2, 3, 6, 8 : Jardin des délices, le Prado Madrid 4 : Le vagabond Rotterdam
5 : Le couronnement d’épines, Londres
7 : Le portement de croix, Gand
9 : La tentation de St Antoine, Lisbonne
10 : Portrait de Jérôme Bosch par H. Wierix, Rotterdam
11 : La cure de folie, le Prado Madrid
Nous venons de survoler les grands systèmes de la régulation posturale, nous permettant d’entrevoir la difficulté, pour notre espèce primate bipède exclusive, à tenir debout et à se mouvoir en maîtrisant ses déséquilibres.
La lutte permanente contre la gravité, notre ’’ligne G’’, le référentiel planétaire de notre orthostatisme humain bipède, nous accompagne tout au long de notre vie, du nourrisson qui
Un dernier dessin encore sans titre que vient de me faire parvenir Hieronimus…
…et qui devrait s’intituler :
’’Posturologue cherchant l’aire de la bipédie exclusive d’un Homo sapiens sapiens’’… !